Si Mohand ou Mhand vu par Boulifa, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri

 

Si Mohand l'insoumis (film)

« Quand on entend d’autres discours de quelque autre, fût-ce un orateur consommé, personne n’y prend pour ainsi dire aucun intérêt ; mais quand c’est toi qu’on entend, ou qu’un autre rapporte tes discours, si médiocre que soit le rapporteur, tous, femmes, hommes faits, jeunes garçons, sous sommes saisis et ravis. » — Platon

Si Mohand ou Mhand (1848-1906) est l'un des plus grands poètes kabyles de tous les temps. Il était entré dans la légende de son vivant même. Ses poèmes sur l'amour, le destin, la nature humaine, les malheurs du siècle font désormais partie de la sagesse populaire en Kabylie.

Voici le portait qu'ont en tracé trois hommes de lettres algériens : Si Ammar Boulifa, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri.

Si Ammar Boulifa : «  le poète de l’amour ou l’amant des muses érotiques »

Si Mohand ou Mhand est le véritable type de poète errant. Il ne chante pas comme ses confrères sur les places publiques, il ne débite pas ses poésies dans les cafés maures. En un mot, il ne profane pas son art et n’en fait pas commerce.

Amant passionné de l’espace et de la liberté, il va où son étoile le conduit. Le paysage ou le site lui plaisent-ils, il s’y arrête et le contemple ; et, sous l’influence du tableau qu’il admire, sa corde sensible se met à vibrer.

Ses chants vont droit au cœur. Reçoit-il une hospitalité cordiale, il remercie ses bienfaiteurs par quelques vers qu’il leur dédie. 

Il va du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, au gré de sa fantaisie. Partout où il est reconnu, il est accueilli, fêté, surtout par la jeunesse dont il connaît bien le cœur et dont il sait traduire les sentiments en un langage digne des sujets qu’il chante.

Vu son genre, nous n’hésitons pas à l’appeler le poète de l’amour ou l’amant des « muses érotiques ».

— Si Ammar Boulifa (1904), « Recueil de poésies kabyles »

Mouloud Feraoun : « Voilà pourquoi des rimes divines ont pu servir à des paroles profanes »

Il est en Kabylie un nom que tout le monde connaît, un poète dont tout le monde vénère la légende : Si Mohand-ou-Mhand des Ath Irathen. Cette popularité est d’autant plus remarquable que l’œuvre de Si Mohand n’a été véhiculée chez un peuple alors illettré et dont la langue ne s’écrit pas, que par la parole ou le chant.

On peut aussi se demander comment un poète profane a pu devenir l’incarnation d’un peuple dont la réserve n’est pas la moindre vertu et qui considère comme immorale la musique chantant l’amour.

Si Mohand n’a pas souffert de la réprobation populaire. C’est qu’il ne cherche à intéresser personne, n’attend rien de personne : ce qu’il dit de lui, il le dit à lui-même.

Un jour, raconte-t-on, un ange se présenta à lui et lui fit cette proposition : « rime et je parlerai, ou bien alors parle et je rimerai. » Si Mohand choisit de parler. Voilà pourquoi des rimes divines ont pu servir à des paroles profanes, car le fantastique poète, nanti du précieux cadeau, se soucia moins de glorifier les anges que de traduire ses propres tourments.

— Mouloud Feraoun (1960), Les poèmes de Si Mohand

Mouloud Mammeri : « le symbole d'un destin collectif »

Il est entré dans le légende de son vivant même ; et rétrospectivement l'on comprend bien pourquoi. Après les diverses tragédies d'une jeunesse troublée, Mohand est vite devenu l'homme d'une vocation et, à travers elle, le symbole d'un destin collectif.

Pour Si Mohand, la poésie n'était ni un métier ni un accident, c'était un destin : il ne l'avait ni cherché ni choisi, elle s'est imposée à lui comme un fatum (destin, fatalité). Il avait reçu, au vrai sens du mot, "la vocation", il avait été "appelé" ; l'expression kabyle le dit bien : tettunefk-as, cela lui a été donné. Et il n'était pas plus libre de refuser le don que de changer la couleur de ses yeux.

— Mouloud Mammeri (1969), « Les Isefra de Si Mohand ou Mhand »

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